En Suisse voisine - Mai 2024

"Chômage et frontière", la cinquième infolettre de la fondation suisse FEDRE

La fondation suisse FEDRE (Fondation européenne pour le développement durable des régions) a partagé sa cinquième infolettre traitant du thème des indemnités-chômage des frontaliers :

 


 

 

INFOLETTRE – FRONTIÈRE
numéro 5
avril 2024

Chômage et frontière

Temps de lecture : 6 minutes

Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public. Après le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le numéro 2 qui abordait les difficultés du secteur de la santé, le numéro 3 qui présentait un sujet vital pour nos régions – l’eau –, puis le numéro 4 tourné vers la culture, voici le thème délicat du chômage : qui indemnise les frontaliers ayant perdu leur emploi ?

Dans les relations transfrontalières entre la Suisse et les régions limitrophes, il y a un certain nombre de bombes à retardement : la santé en est une (voir notre Infolettre no 2), le logement sûrement une autre, et voici maintenant la question de savoir qui paie les allocations chômage des frontaliers. Elle semble monter en puissance en France.

Il existe une réglementation européenne sur cette question

Aussi étonnant que cela puisse paraître, en matière de fiscalité directe des travailleurs frontaliers, il n’existe pas de règle européenne : la question n’est tranchée que par des accords bilatéraux qui sont loin d’être uniformes. Ainsi Genève, qui prélève l’impôt sur le lieu de travail et en reverse une partie aux régions où résident les frontaliers, a un système inverse de celui des huit autres cantons limitrophes de la France, Paris prélevant l’impôt sur le lieu de résidence et en reversant une partie à ces cantons.

Mais les choses sont tout autres dans le domaine des assurances sociales, et en particulier du chômage, puisqu’il existe au sein de l’UE depuis 2004 un Règlement 883 complété en 2009 par un Règlement 987 qui stipulent que le paiement des indemnités sont à la charge de l’État où vit le frontalier. On rétorquera que la Suisse, non membre de l’UE, n’est pas concernée. Eh bien, si ! en vertu de l’Accord de libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE, entré en vigueur en 2002, qui a étendu ce dispositif au pays à partir d’avril 2012. Or, on se rend compte aujourd’hui que cela crée, surtout avec la France, un certain nombre de déséquilibres.

Une préoccupation grandissante du côté français

Le gouvernement français s’est récemment alarmé de l’état des finances publiques. Entre autres mesures d’économie, le Premier Ministre Gabriel Attal a annoncé le 26 mars 2024 son intention de restreindre les prestations de l’assurance-chômage. C’est dans ce contexte qu’un député macroniste de Haute-Savoie, Xavier Roseren, a interpellé à l’Assemblée nationale, lors de sa séance du 3 avril, la Ministre du travail Catherine Vautrin sur les coûts du chômage des frontaliers, lesquels ont quasiment doublé depuis 2010, passant à plus de 900 millions d’€ par an. Et la Suisse représente 70% de ce total (plus de 600 millions), alors qu’elle n’accueille que 43% de l’ensemble des frontaliers français. Tout cela grève donc de plus de plus lourdement le budget de l’État alors que, ne l’oublions pas, ces chômeurs ont cotisé… en Suisse.

C’est pourquoi la France voudrait maintenant que l’UE modifie le Règlement européen de 2004.

En quête de rééquilibrage ?

En réalité, la France a déjà fait il y a quelques semaines une première tentative de modification du Règlement 883/04 de l’UE. Elle s’est adressée pour cela au Conseil des Ministres de l’Union, mais n’a pas été suivie par la Belgique qui préside cette instance durant le premier semestre 2024. Pourtant il semble qu’elle projette de reformuler une proposition de réforme après les élections européennes de juin, lorsque la Hongrie aura succédé à la Belgique au second semestre. Difficile de dire quelles sont les chances de succès. À première vue, la question des frontaliers n’est pas sensible pour la Hongrie, mais d’un autre côté les relations entre Emmanuel Macron et Viktor Orbán sont particulièrement mauvaises. Les paris sont donc ouverts. Et la Suisse ?... N’étant pas membre de l’UE, il est peu probable qu’elle ait son mot à dire lors de la discussion.

Quels facteurs peuvent, pour la France, expliquer le coût de plus en plus lourd du chômage des frontaliers suisses ? Évidemment l’augmentation rapide du nombre de ces frontaliers depuis une vingtaine d’années, accélérée par l’accord de libre-circulation des personnes entre la Suisse et l’UE. Un autre élément est le niveau très élevé des salaires suisses (de 2,5 à 3 fois les salaires français) servant à calculer les allocations (en général 57% du salaire journalier de référence) payées par l’UNEDIC. Il s’y ajoute la durée d’indemnisation, qui est le plus souvent de 18 mois, et monte jusqu’à 27 mois pour les plus de 55 ans. Ajoutons un facteur, propre au comportement des frontaliers : selon la Maison de l’Emploi et de la Formation de Mulhouse, un certain nombre rechigne à reprendre rapidement du travail en France pour 2000 €, préférant toucher le plus longtemps possible leurs indemnités qui se montent souvent au double. Et puis, profitant du fait que pour toucher le chômage en France il ne faut justifier que de 6 mois d’activités durant les 2 dernières années, il faut compter avec ceux, surtout des jeunes, qui travaillent en Suisse sur de courtes durées avec un bon salaire, puis retournent au chômage et ainsi de suite…

Par ailleurs, les cantons limitrophes de la France sont, à l’exception de Berne, de Soleure et de Bâle-Campagne, tous au-dessus de la moyenne suisse de 2,4% de chômeurs inscrits (chiffres officiels du SECO pour mars 2024) avec des pics à Genève (4,3%) qui détient le record, devant le Jura et Bâle-Ville (3,8%), puis Vaud (3,7%). En tout cas, ni l’Allemagne, ni l’Autriche ou l’Italie ne semblent avoir le même problème avec leurs chômeurs frontaliers de Suisse. Il faut dire qu’en Italie, le montant des allocations chômage est plafonné à 1'550 € ! Mais le syndicat tessinois OCST se dit préoccupé par la perte de revenu qui en découle pour le frontalier. Il estime aussi que cela peut inciter certains employeurs à exercer des pressions sur leurs frontaliers en menaçant de les licencier pour leur faire accepter telle ou telle condition.


 

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